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Le Chirurgien balaya impatiemment la pièce à l’aide de sa torche. L’écho du coup de feu résonnait encore à ses oreilles, mais Pendergast avait à nouveau disparu. Le faisceau de sa lampe, traversé par des nuages de poussière, faisait émerger de l’obscurité de vieux costumes mités et un micmac indescriptible d’objets hétéroclites soigneusement rangés dans de vieilles vitrines de bois. En revanche, toujours aucune trace du policier. Il était pourtant sûr de l’avoir touché une nouvelle fois.

La première balle, celle avec laquelle il avait blessé Pendergast au ventre, était la plus meurtrière. Une mauvaise blessure susceptible de l’handicaper gravement, et qui risquait d’empirer de minute en minute. De plus, la douleur ne pouvait que freiner sa fuite. Quant à la seconde balle, elle avait dû l’atteindre au bras. Car si Pendergast avait disparu, c’est qu’il était toujours capable de marcher. Avec un peu de chance, le Chirurgien avait touché une veine, provoquant une nouvelle hémorragie.

Il s’arrêta un instant à l’endroit où se trouvait le policier lorsqu’il l’avait atteint. Il aperçut une traînée de sang sur une vitrine voisine, ainsi qu’une petite flaque un peu plus loin, là où Pendergast avait roulé à terre.

Fairhaven fit un pas en arrière et regarda tout autour de lui d’un air condescendant. Décidément, ce pauvre Leng collectionnait vraiment n’importe quoi, comme le prouvait cette accumulation d’accessoires inutiles. Tout dans la maison de Leng respirait la névrose. Contrairement à ce qu’avait l’air de penser Pendergast, ce n’était pas aujourd’hui qu’il découvrirait la pierre philosophale. La pierre philosophale ! L’arcane suprême ! Il repensa au boniment que lui avait servi Pendergast sur le grand projet secret de Leng. Du baratin, une façon comme une autre de le déstabiliser, mais ça ne prenait pas. Comme s’il pouvait y avoir un secret plus précieux que celui de l’éternité. Si cette collection ridicule de parapluies, de cannes et de perruques mitées était un exemple du grand projet de Leng, le pauvre vieux ne méritait pas le génie qu’on lui attribuait. À force de rester cloîtré dans cette demeure sinistre, il avait probablement sombré dans la folie.

Leng avait pourtant l’air sain d’esprit lorsque Fairhaven s’était retrouvé face à lui six mois plus tôt - si tant est qu’on puisse juger de l’équilibre mental de quelqu’un qui refuse obstinément de parler sous la torture -, mais il ne faut jamais se fier aux apparences. On ne peut jamais savoir ce qui se passe dans la tête des gens. Finalement, tout ça n’avait guère d’importance. C’était à lui, Anthony Fairhaven, qu’échoyait la formule de jouvence, et Leng n’avait été qu’un envoyé du Destin. Tout comme saint Jean-Baptiste avait ouvert la voie au Christ. Fairhaven était béni des dieux, c’était à lui que revenait l’honneur de profiter de cette formule divine. Malgré son intelligence, Leng ne s’était pas montré à la hauteur.

Son but atteint, Fairhaven n’avait pas l’intention de se cloîtrer dans cette vieille demeure en attendant que les années passent. Une fois la formule parfaitement au point, il pourrait enfin laisser libre cours à sa vraie nature. La chrysalide se métamorphoserait en papillon, et il n’aurait plus qu’à profiter de cette jeunesse éternelle pour voyager à travers le monde en multipliant les expériences sensuelles et intellectuelles.

L’argent n’était pas un problème, il en avait bien assez pour assouvir toutes ses envies, et même davantage.

Mais il serait toujours temps de rêver plus tard. Pour l’heure, il s’agissait de ne pas perdre la trace de cette vipère de Pendergast. Les traces de pas sur le sol étaient de plus en plus floues, comme si le policier traînait des pieds. Le connaissant, il était parfaitement capable de simuler une blessure grave, mais Fairhaven n’y croyait pas. Il avait été touché à deux reprises, et les taches sur le sol prouvaient qu’il perdait beaucoup de sang.

Fairhaven se faufila dans le boyau et pénétra dans la salle suivante, découvrant avec stupeur ce qui avait tout l’air d’un laboratoire, avec d’immenses paillasses couvertes d’instruments de toutes sortes. Une épaisse poussière recouvrait tout, et le contenu des éprouvettes s’était desséché en laissant des dépôts couleur ocre. L’endroit était abandonné depuis des années. Un râtelier en fer, rongé par la rouille, s’était cassé en deux sous le poids des tubes et des éprouvettes dont les morceaux s’étaient éparpillés sur l’une des paillasses.

Les traces de Pendergast traversaient le laboratoire en direction d’une autre porte. Fairhaven pressa le pas, l’arme au poing, prêt à tirer. Il est temps d’en finir, grommela-t-il entre ses dents d’un air décidé.